Ne vous êtes-vous jamais demandé quelles étaient les petites mains qui maintiennent nos avions en état la nuit, lorsque tout le monde dort, ou la journée lorsqu’un équipage rencontre des problèmes techniques ?
Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi l’aviation d’aujourd’hui n’a jamais été aussi sûre ?
Pilotesuisse oui ! C’est pourquoi nous avons passé une nuit complète avec le service de Maintenance SWISS à l’aéroport de Genève accompagné de Manuel, un employé aussi gentil et passionné que compétent.
Le quotidien d’un mécanicien :
C’est à 20h00 que nous retrouvons Manu’ à côté du « Grand-Hangar » dans la partie sud-ouest de l’aéroport. Nous passons la sécurité puis allons dans la salle principale où les ordres de travail se trouvent. Ce soir, nous allons effectuer divers travaux sur différents appareils tels que les inspections quotidiennes, des changements de lampes diverses, un essai moteur ou encore un changement de roue.
Nous continuons dans le hangar et y trouvons un magnifique Airbus A319. Ce dernier a beaucoup de trappes d’accès ouvertes : portes du train d’atterrissage, diverses trappes et capots moteur, laissant ainsi apparaitre la structure extérieure des réacteurs. Cet avion va subir une petite révision générale ainsi qu’une lubrification des valves utilisées pour le démarrage pneumatique des moteurs.
Ensuite, nous prenons un véhicule et sortons avec des outils et quelques pièces emballées et nous nous dirigeons cette fois-ci sur le tarmac vers un A320. Il commence à neiger et le froid sévit. Une fois à l’avion, nous nous rendons vers son moteur gauche.
Nous ouvrons ses capots afin d’avoir accès aux divers tuyaux, valves, vis et sondes qui le composent. En premier lieu, nous contrôlons le niveau d’huile car il faut savoir qu’un avion vole en moyenne 10 heures par jour et qu’il consomme dans ce laps de temps entre 1 et 5 quarts (= ~1 à 5 litres) d’huile selon l’âge du moteur.
En deuxième lieu, le moteur gauche ayant plus d’heures de vol que le droit, il nécessite l’inspection de son « chip detector ». Le « chip detector » est une sorte de petite vis aimantée qui rentre dans le système d’huile du moteur afin d’attraper les petites particules métalliques qui pourraient s’y balader et abimer celui-ci. Aussi, lorsque la quantité de limaille détectée est trop importante, il déclenchera une alarme visuelle sur le moteur que les mécaniciens vérifient quotidiennement. (Selon les options de l’avion, il peut aussi y avoir une alarme dans le cockpit). Il faut savoir qu’une grande augmentation de limaille dans le système pourrait indiquer la panne imminente du moteur par exemple lorsqu’il y a une usure prématurée d’un palier de l’arbre moteur.
Chaque pièce que nous enlevons est remplacée par une pièce neuve, ceci est particulièrement le cas pour les vis et les joints. Ceci évite donc la contamination du moteur par des éléments extérieurs qui auraient pu se loger sur la pièce enlevée.
Il faut aussi noter qu’il est très rare qu’un avion vole avec deux moteurs ayant un nombre d’heures quasi identique. Ceci est dû aux faits que les moteurs ne soient pas démarrés et éteints en même temps, qu’ils subissent rarement de toutes petites avaries nécessitant une maintenance et ils sont donc changés à des moments différents. Une fois le moteur contrôlé, remis à jour ou réparé, il est remis sur un avion en service de vol. Il est donc possible d’avoir un avion composé d’un moteur récent d’un côté avec moteur plus ancien de l’autre.
Il est déjà minuit lorsque nous retournons dans le hangar nous réchauffer un peu et prendre un repas ensemble. Tout le monde sourit et est de bonne humeur malgré l’heure avancée. Il n’est pas toujours facile de travailler de nuit, mais tout le monde y trouve son avantage, par exemple : le travail de nuit est tranquille et offre une atmosphère agréable et détendue, il permet aussi d’éviter le stress du jour lorsque des avions nécessitent une action immédiate afin d’éviter un départ tardif.
Après le réconfort, il est temps de se remettre au travail ! C’est un avion qui nécessite divers travaux qui va désormais nous occuper. Nous nous dirigeons sur le tarmac vers lui et contrôlons les besoins indiqués par la fiche de travail et ouvrons également son livre de bord qui recèle une partie de son historique et des diverses annotations faites par les pilotes.
Les tâches à faire se résument donc à : changement de lampes d’indication du numéro du siège, changement d’un néon dans la cabine, recherche de fautes dans les systèmes de l’appareil via son ordinateur de bord, un check général et le changement d’une roue ! Un grand moment impressionnant !
Le changement d’une roue est une tâche régulière de l’entretien d’un avion. A chaque atterrissage, les pneus sont soumis à une grosse accélération : ils passent d’une vitesse de 0 à >200km/h en une fraction de seconde. Lors du toucher avec le sol, cette accélération va faire perdre de la gomme au pneu. Ceci est visible par la fumée bleue dégagée par ces derniers lors d’un atterrissage et par les grosses traces noires laissées sur la piste dans les 200 à 600m suivant son seuil. Lors de virages serrés sur le sol, les pneus sont également soumis à des frottements élevés. Après être enlevé, le pneu est envoyé dans une usine qui va le « regommer » afin qu’il puisse être réutilisé : sa nouvelle vie sera alors d’environ 200 atterrissages.
Afin de changer la roue extérieure du train principal, il faut commencer par soulever le train correspondant à l’aide d’un vérin pneumatique afin que les roues ne touchent plus le sol. Ce vérin pneumatique est actionné en utilisant l’air sous pression du pneu qui va être changé : le pneu étant gonflé avec environ 14 bars. Ensuite, il faut enlever le ventilateur qui est utilisé après un atterrissage. Les freins chauffent et il est nécessaire de les refroidir : ceux-ci chauffant en moyenne entre 100 et 300°C. Une fois le ventilateur enlevé, nous déboulonnons la roue et approchons un chariot qui servira à porter et éloigner la roue : celle-ci pesant environ 150kg !

>Nous enlevons d’abord le ventilateur puis les boulons avant de retirer la roue à l’aide d’un chariot<
La roue en moins, nous pouvons admirer les freins de l’avion. Ils sont composés de 6 disques en céramique intercalés de stators et actionnés par de nombreux pistons fonctionnant à une pression moyenne maximale de ~200 bars. Ensuite, nous mettons la nouvelle roue, pré-gonflée, sur le train. Nous l’attachons, la serrons et y vissons les différentes sondes de pression et température. Nous remettons en place le ventilateur, remettons le train au sol et contrôlons et ajustons la pression du pneu. Nous nous rendons dans le cockpit, effectuons un test système et contrôlons le bon fonctionnement des sondes et du ventilateur de frein.
Les pneus sont gonflés avec de l’azote qui est une molécule stable. L’azote a la particularité d’être un gaz inerte, il ne réagit donc pas avec son environnement comme le ferait l’oxygène : élément indispensable du feu.
La nuit a fait son bout de chemin, il est 4h et gentiment temps pour nous de rentrer au hangar où un essai moteur est en cours. Les valves de démarrage ayant été lubrifiées, les mécaniciens font un essai de démarrage sans essence appelé « crank start ». Ce processus est généralement utilisé lorsqu’un moteur n’a pas démarré correctement et qu’il y a un risque d’avoir encore du carburant dans sa chambre de combustion. Ainsi, ce démarrage sec permet de chasser tout ce kérosène.
Après avoir fait un dernier tour de l’avion avec les explications techniques de Manu’, nous terminons notre soirée avec la Maintenance. Il est temps pour nous de rentrer et pour Manuel de finir la paperasse et d’accueillir les premiers équipages du matin en leur rendant une visite lors de leur arrivée.
Heureusement, lors de notre départ nous avons la chance de voir une caisse à outil. Dans ces caisses, il est sans dire que chaque outil a sa place et qu’aucun d’eux ne doit manquer. Après un travail, le mécanicien est responsable de contrôler que tous les outils soient là pour deux raisons : Les outils au complet sont disponibles pour la prochaine équipe et aucun outil n’a été oublié dans un avion.
Formation et travail :
Il y a encore quelques années, il était possible de se voir offrir sa formation de mécanicien sur aéronef par son employeur ; tel a été le cas pour Manuel. Aujourd’hui, il n’y a plus ou très peu de formation financée de mécanicien avion en Suisse ce qui est fort regrettable et cela pousse par conséquent les employeurs à recruter hors de nos frontières.
En ce qui concerne Manuel, il a d’abord dû effectuer une formation technique (horlogerie, informatique, mécanique voiture etc…). Lui a choisi de la solder par un apprentissage et un CFC en électronique. Ensuite, il a postulé dans une grande entreprise de Maintenance aéronautique suisse, entreprise au sein de laquelle il a effectué ses licences. Actuellement, cette entreprise ne forme plus ou très peu.
Au jour d’aujourd’hui, le schéma de formation suisse standard ressemble à cela :
1. Trouver une école de formation et organisation de maintenance aéronautique répondant aux exigences de l’autorité EASA Part 147 & 145 (European Aviation Safety Agency).
2. Il faut accumuler au moins 2 ans d’expérience sous supervision et suivre un syllabus régi par l’autorité EASA Part 66. Pendant ces 2 années, l’élève doit effectuer divers examens sur des chapitres régis par la Air Transport Association (ATA). Chaque chapitre défini une partie de l’avion comme les moteurs, le système communication ou navigation, la structure générale de l’appareil etc. Il y en a environ 100 au total. Pendant ce temps, l’élève doit effectuer diverses tâches avec son instructeur pour valider son cursus.
A la fin des 2 ans, l’élève reçoit une licence qui lui permettra de signer et prendre la responsabilité des travaux qu’il effectuera lorsqu’il sera qualifié sur un type d’appareil. C’est cet emploi sous supervision qui est difficile à trouver en Suisse.
Il y a plusieurs licences :
– A : Certaines tâches spéciales
– B1 : Mécanique
– B2 : Avionique
– B3 : Hélicoptère
– C : Navigabilité et libération de l’appareil après de grosses maintenances.
Tous les 2 ans, le licencié devra suivre un cours de mise à jour.
3. Une fois licencié, l’élève va devoir trouver une entreprise au sein de laquelle il pourra travailler. S’il a de la chance, sa qualification sur type d’appareil sera payée. Une qualification dure en moyenne 8 semaines comprenant 6 semaines de théorie avec 2 semaines de pratique et d’examens. Une fois qualifié sur appareil, l’employé sera autorisé à réparer et à libérer ce type d’ avion pour le service de vol.
La formation continue fait autant partie du quotidien du mécanicien sur aéronef que celui du pilote. Le mécanicien devra suivre tout au long de sa carrière divers cours sur la gestion des ressources d’une équipe (CRM – Crew Ressource Management), sur les facteurs humains ou encore sur diverses procédures.
Les perspectives de carrière sont multiples. Le mécanicien sur avion aura la possibilité de devenir chef d’équipe, administrateur, manager ou encore instructeur.
Le métier de mécanicien est vraiment complémentaire au métier de pilote. En fait, les deux métiers sont en relation directe. L’un entretien pour que l’autre opère. Le pilote, bien qu’il connaisse les spécificités techniques de sa machine, n’est pas habilité à effectuer des travaux de maintenance dessus. Le mécanicien, lui, ne sait opérer la machine, c’est-à-dire les procédures de vol par exemple.
Coûts de formation, salaire et style de vie .
La formation de base coûte environ CHF 100’000.-
Chaque qualification sur type d’appareil coûte environ plus de CHF 25’000.-. Environ CHF 30’000.- pour l’Airbus A320 et CHF 50’000.- pour le Boeing B777.
Celle-ci est souvent payée par l’employeur.
Le salaire en début de carrière tourne aux environs de CHF 4’500 – 5’000.- et peut grimper jusqu’à environ CHF 7’000.-. Il dépend de l’expérience ainsi que des licences détenues par l’employé.
Lors du travail de nuit, le mécanicien effectue en règle générale des semaines de 4 jours à 11h de travail suivies de 4 jours de repos. En ce qui concerne les vacances, elles sont standards, c’est-à-dire 25 jours par an pour un jeune employé.
Nous souhaitons remercier chaleureusement Manuel ainsi que son chef Joël sans qui la rédaction ainsi que la validation de l’article n’auraient pas été possible.
Nous nous réjouissons d’ores et déjà de les retrouver à la sortie de nos avions 🙂
BONUS :
Voici deux vidéos du département technique de SWISS. L’une porte sur un changement de roue et l’autre sur un changement de moteur.
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